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BASTOGNE

Même si Bastogne n’est pas la seule clef de la Bataille des Ardennes, elle n’en constitue pas moins sa réputation mondiale, surtout depuis que McAuliffe a répondu ‘Nuts’ à une demande de reddition des Allemands adressée aux troupes américaines encerclées dans la ville. Habilement exploitée par les Etats-Majors, l’anecdote a soutenu le moral des soldats américains pour le reste de la guerre. Surfant sur la renommée apportée à Bastogne par l’anecdote, les autorités communales successives, les commerçants, les associations diverses, ont fait de Bastogne la référence belge pour la Bataille des Ardennes et pour la Seconde Guerre mondiale. Son succès chez les Américains tient peut-être aussi au mythe des pionniers du Far-West  encerclés avec leurs ‘’Prairie Schooner’’ par les Indiens et sauvés de justesse par les Tuniques Bleues, la cavalerie américaine. (La 101st étant les pionniers, les Allemands, les Indiens et la 3ème Armée de Patton, la cavalerie).
Nous allons, Paul Van Daele et Roger Marquet, pour agrémenter la présentation de Bastogne, vous conter l’histoire qui est arrivée à la Ferme du Menil, près de Fosset, dans l’arrondissement de Bastogne.                      

Présentation

ARDENNES WHITE STAR.


Il y a une dizaine d’années, j’ai rencontré un de mes professeurs de l’Institut Saint-Joseph de Saint-Hubert qui habite Vesqueville, Adelin MONCOUSIN.
Adelin a vécu sa petite enfance à Menil (Sainte-Ode), là où un Panther allemand s’est renversé dans l’étang en décembre 1944. Le Menil est aussi le lieu de mon enfance. J’avais neuf mois quand mes parents sont arrivés des Flandres (Courtrai) pour exploiter une des deux fermes de l’endroit.
Adelin avait déjà fourni son témoignage dans le livre ‘’Des Civils témoignent…’’ édité en 1994 par le Cercle d’Histoire de Bastogne.
Mais comme il m’a remis le texte original de son récit, nous nous croyons autorisés à le publier dans notre ‘’Coin de l’Historien’’.
Et à y apporter des informations complémentaires qui ont été fournies par d’autres témoins et enquêteurs, tels que : Madame PHILIPPE et Ghislain MONCOUSIN, en 1945, Gabriel BAUDOUIN, Guy STEIVER et le journaliste de ‘’L’Avenir du Luxembourg’’, feu Jean-Marie DOUCET en 1991 et Roger MARQUET qui a mis le tout ‘’en musique’’ en cette année 2019.

Paul VAN DAELE
Président d’Ardennes White Star

CRIBA (Centre de Recherches et d’Information sur la Bataille des Ardennes)

Grâce à l’initiative de Roger MARQUET et à l’amabilité de Paul VAN DAELE, nous pouvons nous aussi publier ce récit dans notre ‘’INFO CRIBA’’.

Denise OGER
Présidente du CRIBA

C’est pour moi un honneur et un plaisir d’écrire pour le CRIBA depuis plus de 25 ans et pour Ardennes White Star depuis quelques mois.

WW II Reference Center

Roger Marquet
Conseiller Scientifique
Bastogne Memorial
WW II Reference Center

LA GUERRE VUE PAR UN ENFANT ET COMMENTÉE 50 ANS APRÈS

Né le 20 avril 1939, j’avais donc cinq ans et huit mois quand s’est déroulé, dans ma région, un des épisodes les plus meurtriers de l’Offensive Von Rundstedt et ce n’est qu’en mûrissant que j’ai mieux compris les évènements que j’ai vécus. Certains sont restés gravés dans ma mémoire comme si cela s’était passé hier sans doute parce qu’ils m’ont marqué plus que d’autres.

J’habitais à cette époque à Menil, commune de Sainte-Ode. Il y avait deux fermes  dont une a été exploitée par Adelin Vermeesch et Esther Van Daele.
Les Allemands occupèrent le hameau du 22 décembre 44 au 11 janvier 45. Bien que le front ne se trouvait qu’à un kilomètre, nous avons en fin de compte moins souffert de la guerre comparativement aux villages environnants où on a déploré le décès de plusieurs habitants et l’anéantissement de nombreuses maisons [NDLR : l’exemple le plus frappant est Chenogne avec ses 31 maisons détruites sur 32 et 23 de ses habitants tués].

Le réel problème, pour mes parents, a été l’accueil des réfugiés ? Je pense à la famille Genin de Renuamont, à la famille Jardon de Chisogne, à la famille Coyette de Macravivier et à d’autres dont je ne me rappelle plus le nom. Durant vingt jours, nous avons vécu à plus de trente personnes dans une cave qui mesurait quatre mètres sur six. Compte tenu des bouches à nourrir et de ce que les Teutons nous subtilisaient, je comprends les paroles prononcées alors par mon père : ‘’Il astot timps qui sa finich’, on n’avot pus rin à mougner ‘’.

Je me souviens notamment :

1.    D’un soldat allemand en particulier.

Alsacien de naissance, il parlait évidemment très bien le français. Un jour, les larmes aux yeux, il me prit sur ses genoux et caressa mes cheveux. Une fois remis de ses émotions, il expliqua à maman qu’il avait un fils de mon âge auquel je ressemblais étrangement. À partir de ce jour, nous eûmes toujours des contacts privilégiés avec ce soldat. Il nous mettait au courant des évènements et nous apportait le pétrole dont nous avions grand besoin pour alimenter les lanternes.
Un soir, mon père lui dit : ‘’Tes fameux copains ont pris la hache avec laquelle je fends le bois’’. Le lendemain matin, deux haches se trouvaient dressées à côté du billot. Quant à lui, jamais plus on ne le revit. J’espère qu’il a pu au moins revoir les siens.

2.    Des soldats allemands en général.

Ils m’apparaissaient très fatigués. En effet, j’en voyais dormir partout dans n’importe quelle position. Sur le tas de bûches, de charbon, dans les râteliers et mangeoires des bêtes, avec les cochons, entre deux vaches à même les déjections. Il n’était pas une pièce où nous ne devions enjamber des corps ronflants et transis.
J’étais frappé par l’énormité de leurs chaussures. Pour lutter contre le froid, ils entortillaient leurs souliers d’une bande de tissu, mais à force de marcher dans la neige, une couche de glace recouvrait le tout. À coup sûr, ils ne se déchaussaient plus depuis belle lurette et devaient avoir les pieds gelés.
Démotivés, ils devaient l’être également, car lorsqu’un officier venait leur ordonner de rejoindre le front, ils n’esquissaient aucun geste de bonne volonté et replongeait dans un sommeil profond. Jusqu’au jour où un autre officier, un SS celui-là, en choisit un au hasard et l’abattit froidement dans la cour.

3.    Des soldats américains.

Leur arrivée ne m’a pas laissé bonne impression. Ils nous obligèrent tous à sortir et nous alignèrent devant la maison, menaçant de leur fusil celui qui s’écartait du groupe.
Ils fouillèrent la maison de fond en comble et mirent les garde-robes sens dessus dessous. Aucun sourire, aucun regard bienveillant, alors que nous aurions dû tomber dans les bras l’un de l’autre puisqu’ils étaient nos libérateurs.
Bien vite, ils revinrent accompagnés de prisonniers allemands qui, les mains sur la tête, furent molestés et déshabillés presqu’à nu sous nos yeux.
Aujourd’hui, je comprends la raison d’un tel comportement. Ils se méfiaient de tout le monde tant les Fridolins leur avaient joué de si vilains tours.
Par la suite, les G.I. devinrent plus sociables. Ils distribuaient à tout qui en voulait chocolat, biscuits, boîtes de conserves, chewing-gums,…
Pour moi, cette générosité contrastait curieusement avec leur comportement, car pourquoi après s’être montrés gentils, ces énergumènes traversaient-ils les jardins et les haies vives avec leurs chars ? Pourquoi, dans la villa d’à côté, avaient-ils cassé la vaisselle et brûlé les meubles ?
Il est vrai qu’ils s’y étaient livrés à des libations mémorables en vidant la cave à vin et que ceci explique un peu cela.
Bref, ces soldats ne respectaient rien et ne m’étaient pas sympathiques. À mes yeux, ils étaient – plus que les Allemands – responsables des dégâts que nous avions subis.
N’était-ce pas eux également qui avaient détruits notre toit en y envoyant leurs obus ?
Par contre, leur témérité m’étonnait. Sur l’étang gelé, ils exécutaient avec leurs jeeps des têtes à queues indescriptibles.

4.    Du tank qui s’est retourné dans l’étang situé en face de la ferme (à une cinquantaine de mètres).

Un soir, vers 18 heures, un officier SS, révolver au poing et l’air furibond, nous ordonne sans aucune explication, de descendre tous dans la cave.  Frayeur, panique générale !
‘’Ça y est, on va tous y passer’’ pense-t-on. Nous étions à peine installés qu’une formidable explosion ébranla les voûtes de la cave. Ce qui s’était réellement passé, nous ne l’avons appris que le lendemain lorsque nous avons interrogé l’Alsacien.
Un tank revenait du front en empruntant le chemin de campagne qui passait sur la digue. Le chauffeur s’était-il endormi ou avait-il confondu le tracé de la route et la glace de l’étang à cause de la neige qui tombait abondamment à cette heure tardive ? Personne ne le saura jamais. Toujours est-il que le char s’est retrouvé chenilles en l’air dans l’étang sans toutefois s’y enfoncer complètement perce qu’il était soutenu par l’épaisseur de la glace (40 cm). Les Allemands fidèles à la consigne qu’il ne fallait rien abandonner aux mains de l’ennemi, le firent sauter et le coulèrent complètement.
Quelques semaines plus tard, lors du dégel, cinq corps apparurent à la surface de l’eau. Quels ne furent pas notre surprise et notre dégoût de voir un jour des inconnus hisser les cadavres sur la digue, les déshabiller et les rejeter dans l’étang où ils finirent par sombrer et servir de pâture aux carpes.

Carte au 1/50.000 de l’Institut Géographique National, édité en 2003 par Touring & Lanoo

Renflouage du char allemand en 1947 – Photo ‘’L’Avenir du Luxembourg’’

En 1947, profitant de la sècheresse qui a sévi cette année-là, Monsieur Philippe, propriétaire des lieux, vendit le char à un ferrailleur de la région. Il ne fallut par moins de quatre GMC, équipés chacun d’une grue, pour l’extraire de la vase dans laquelle il s’était enlisé. Et on le retira de là en le faisant rouler sur lui-même !
On a retrouvé à l’intérieur les restes de trois membres de l’équipage. D’où provenaient alors les cinq cadavres qu’on avait détroussés ?
On peut supposer que des fantassins se soient fait transporter sur la superstructure des chars comme ils en avaient l’habitude et aient suivi leur moyen de transport dans la mort. Était-ce bien cela ?

Quittons un instant le témoignage écrit d’Adelin Moncousin pour nous pencher sur ceux donnés, en 1991 au journaliste et chroniqueur Jean-Marie Doucet (†), par quelques personnes dont Madame Philippe, Ghislain Moncousin, Guy Steiver et Gabriel Baudouin, dont il ressort ceci :

Un petit groupe de chars allemands était venu, le 22 décembre 1944 prendre position sur une hauteur boisée au lieu-dit Sol-Chenet à Fosset (Sainte-Ode). Pendant plusieurs jours, ces blindés, soutenant une force d’infanterie, traversèrent le village de Fosset pour se rendre à Menil par un chemin de terre. On supposa que cette petite force allemande avait reçu mission de harceler, à partir de Menil, les lignes avancées du périmètre de Bastogne. Dans ce secteur et à ce moment, Allemands et Américains étaient en contact sur un front discontinu s’étendant de la Croix de Chisogne (Tillet) jusqu’à Flamierge, en passant par Renuamont.

Il est probable que les chars en position à Menil-Fosset le 22 décembre, couvraient les arrières de la Panzer Lehr. Cette division blindée avait en effet réussi à contourner Bastogne pour se porter via Morhet, vers Tillet et Saint-Hubert.

Quoi qu’il en soit, dans la nuit du 22 au 23 décembre, plusieurs chars allemands de retour de combat et en manque de carburant, vinrent stationner aux alentours de la Ferme du Menil, à l’arrière immédiat du front. Aux approches de la ferme, les tankistes s’engagèrent sur le chemin qui passe par la digue de l’étang. En raison des fortes pluies d’automne et des premières neiges, l’eau de l’étang avait atteint le niveau maximum, si bien qu’entre le chemin et la surface de l’étang – gelé depuis peu – il n’y avait pratiquement pas de dénivellation. Les tankistes allemands ne se rendirent pas compte qu’ils manœuvraient sur une digue. L’un des chars déboîta et bascula dans l’étang, en se renversant chenilles en l’air. Un homme tomba de la tourelle et resta coincé entre le tank et la glace.
Le lendemain, un service allemand vint faire sauter le plancher métallique pour retirer les corps des tankistes qui, semble-t-il, avaient tous péris noyés. Il est probable que le corps du soldat qui se trouvait sur la tourelle n’ait pas été relevé. Ce sont quelques-uns de ses ossements qui ont plus que vraisemblablement été retrouvés dans la vase de l’étang de Menil.

Mais d’autres cadavres ont pu également couler au fond de l’étang. Dans une lettre datée du 18 février 1945, un habitant de Menil, Ghislain Moncousin précise en effet ce qui suit : ‘’À Menil, un tank allemand est tombé de la digue de l’étang à carpes : les cadavres sont descendus dans le fond, il y a seulement quelques jours (NDLR donc début février 1945).
Après l’accident du char, les combats s’étaient poursuivis dans le voisinage de la Ferme du Menil, ceci pendant plusieurs jours. La position ne sera abandonnée par les Allemands que le 11 janvier 1945, comme le précise encore Ghislain Moncousin : ‘’Les Allemands sont arrivés le 22 décembre 1944 et sont partis le 11 janvier 1945 pendant la nuit. Ils se sont finalement battus douze jours à Menil. La ligne de feu se trouvait sur la plaine et sur le pourtour, ce n’était que tranchées  sur tranchées’’.  

Lors de ces combats, les corps des soldats tués dans les environs étaient ramenés à la Ferme du Menil.

Quant au char accidenté, il ne fut retiré de l’étang qu’en 1947. À ce moment, il n’en restait plus grand-chose. Toutefois, des  munitions et des fragments de chenilles restèrent enlisés dans la vase pour ne refaire surface que le mois dernier, on le sait, à la faveur de l’assèchement  de l’étang du Menil.

L’étang asséché de la Ferme du Menil –Photo ‘’L’Avenir’’

D’autres chars furent détruits notamment par l’aviation alliée qui pilonnait la position allemande de Fosset – Menil.

Des tôles découpées dans l’épave d’un de ces tanks servent toujours aujourd’hui de taques d’égout, à Fosset même.

Chenilles du char – Photo ‘’L’Avenir du Luxembourg’’

 

Petit « arsenal » » – Photo ‘’L’Avenir du Luxembourg’’

Revenons maintenant à la lettre d’Adelin Moncousin.

[Et je me souviens aussi.]

5.    … de la corvée d’eau.

Vitres brisées par les déflagrations, portes constamment ouvertes : il en fallait moins pour que l’eau gèle dans les conduites.  Nous étions forcés d’aller nous approvisionner à la maison voisine où existait un puits équipé d’une pompe à bras.  Il s’agissait d’une maison de vacances dont le propriétaire, Monsieur Philippe, habitait Fontaine-l’Évèque près de Charleroi. Les Allemands avaient profité de ce que la maison était inoccupée au moment des faits pour y installer une infirmerie. Tout alla bien jusqu’au jour où mon père découvrit que les Allemands entreposaient les soldats décédés des suites de leurs blessures dans la buanderie et que leur sang s’écoulait dans le puits.

Pour toute solution, il ne restait plus qu’une source sise à 200 m où mon père se rendait en respectant bien les traces de pas laissées dans la neige par les soldats.

Quand les Américains eurent investi l’endroit et que le calme fut revenu, mon père m’autorisa un jour à l’accompagner. Contrairement à son habitude, il emprunta un raccourci et trébucha sur un cadavre recouvert par la neige. Celui-ci, le crâne éclaté, m’apparut dans toute son horreur et je fus bien vite rentré à la maison.

6.    … d’une petite anecdote :

Parmi les réfugiés que nous hébergions figurait un octogénaire impotent qui plus est était sourd comme un pot. Un jour où les bombardements avaient été plus intenses que de coutume, il dit à maman : « Il è f’jant do brut o guernî, les gamins ! »