+ 32 497 720327 pscd6035@skynet.be

Témoignage posthume de Marcel Incoul de Chenogne
Fait prisonnier par les Américains et libéré par les Allemands
Compilé et adapté par Roger Marquet 

Marcel Incoul (†), (photo JCF 2004)

Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis la guerre et vous avez toujours en mémoire l’aventure que vous avez vécue en 1944. Que vous est-il donc arrivé en décembre de cette année-là dans votre petit village de Chenogne ?

Le samedi 16 décembre 1944, je travaillais à la ferme de mes parents à Chenogne, à 7 ou 8 kilomètres à peine de Bastogne. J’ai entendu le canon gronder du côté de cette ville et je me suis dit que les Américains lançaient enfin leur offensive finale. Sur la route de Chenogne à Lavaselle, j’ai aperçu des réfugiés, valises à la main, qui m’ont dit que les Allemands étaient de retour. J’avais de la peine à les croire et j’ai demandé à un copain, Alfred Lanners, de m’accompagner pour aller jusqu’à Sibret, village voisin, pour essayer d’en savoir plus. Nous étions aussi inquiets l’un que l’autre mais nous voulions en avoir le cœur net et nous sommes partis.

À peine avions-nous fait un kilomètre sur la route de Sibret qu’une jeep américaine, occupée par un lieutenant et un sergent MP (1) de la 28th Infantry Division, (avons-nous appris plus tard.) s’arrête à notre hauteur et le lieutenant, visiblement tendu et énervé, nous intime l’ordre de grimper dans son véhicule, après y avoir chargé nos vélos.

Quelque  part en Ardenne – Photo Printerest

Lieutenant John Foley – Photo Coll.R.Marquet

L’unité de Military Police de la 28th Infantry Division, à laquelle appartenait le lieutenant Foley
(que nous n’avons pas pu localiser) – Photo US Army

En voyant l’état de nervosité des deux Américains, nous avons immédiatement obtempéré et nous sommes partis avec eux vers Sibret, plus précisément à la Gendarmerie qui était le Quartier Général (très) provisoire de la 28ème Division d’Infanterie.

Lorsqu’on nous a interrogés, nous avons compris que le lieutenant, aussi bien que le sergent avaient pensé être en présence d’Allemands de Skorzeny, déguisés en soldats américains. Il est vrai que nous portions chacun une veste et un pantalon qui nous avaient été donné par des G.I. d’un camp établi à Senonchamps, village voisin de Chenogne. Ces G.I. venaient régulièrement à la ferme de mes parents pour y avoir du lait, du beurre et des œufs. Ils nous avaient donné ces vêtements en nombre si grand que j’avais pu en distribuer à l’un ou

L’ancienne gendarmerie de Sibret où Marcel et Alfred ont été amenés pour y être interrogés.
C’est maintenant un bâtiment à appartements – Photo R.Marquet

l’autre copain dont mon ami Alfred. Cela s’était passé lors de la première libération de la région, en septembre 1944 et cela avait été leur façon de dire merci. Et après la période de privations de l’Occupation, ces vêtements étaient plus que bienvenus.

Quel a été votre sort une fois arrivé à Sibret ?

Nous avons donc été amenés à la Gendarmerie de Sibret, QG de la 28th Infantry Division, où on nous interrogea et ensuite on nous mit dans la cave, au cachot. Dans cette cave, il y avait déjà deux Bastognards suspects aux yeux des Américains, Léon Lesgardeur de Salvacourt et Charles Bernard de Bastogne. Ce dernier était géomètre et transportait des plans cadastraux dans une espèce de buse métallique qui pouvait faire penser à un bazooka ; ce qui expliquerait son placement en détention. Durant toute la nuit, le canon tonna de plus belle. Nous n’étions guère rassurés ; surtout que le bruit des fusils, des mitrailleuses, des grenades, armes de proximité, allait en s’intensifiant lui aussi ; ce qui signifiait le rapprochement des combats. Vers 5 h du matin, les soldats allemands [NDT : de la 5.Fallschirmjäger Division] font irruption dans la Gendarmerie et un capitaine de la région d’Eupen, accompagné d’un soldat, un ‘’malgré nous’’ de Malmedy nommé Paul Maus, sont venus nous dire que dès que les combats pour la possession du village – qu’ils prévoyaient endéans les deux heures – seraient terminés, nous serions libérés. C’est finalement vers 10 h du matin que le lieutenant et le sergent américains qui nous avaient arrêtés prennent notre place au cachot, tandis que nous sommes libres, en effet.

Une fois libérés, qu’avez-vous fait ? Comment avez-vous retrouvé votre famille ?

Nous avons tenté de rentrer à Chenogne. Je me suis souvenu que je portais sur moi ma carte de résistant. Par prudence, j’ai décidé de la manger, ce qui ne fut guère évident.
Nous avons alors rencontré des gens qui fuyaient Chenogne et qui nous ont conseillé de rebrousser chemin car les Allemands arrivaient et, de plus, il n’y avait plus de pont pour franchir l’eau glacée du Brul, le ruisseau tout proche. Nous sommes alors repartis pour rentrer à Sibret où nous avons trouvé refuge dans la maison Gresse où se trouvaient déjà une trentaine de personnes. Dans une autre ferme, une centaine de réfugiés s’entassaient dans les caves.

Le 27 décembre, une bombe américaine est tombée très près de la maison où nous nous trouvions et, heureusement, elle n’a pas éclaté.
Finalement, les Américains sont arrivés et nous ont évacués vers Paliseul.

Trois semaines plus tard, en janvier 1945, j’ai eu le bonheur de retrouver mon père Edmond et mes deux sœurs, Laurence et Marie-Louise. Mon frère, Anatole, était prisonnier de guerre et nous ne l’avons revu que le 24 mai 1945.

Quant à notre village de Chenogne, nous ne l’avons revu qu’au mois de mai.
Quel triste spectacle de voir tout en ruines et les rues jonchées d’épaves de chars, de half-tracks, de jeeps, de camions. Le plus grave était que sur les 32 maisons que comptait le village avant la bataille, 31 avaient été détruites, 23 habitants avaient péri et quelques 400 têtes de bétail étaient mortes.
Notre ferme était en ruines. Il fallut tout recommencer à zéro.

 

Aspect de Chenogne après la bataille – (Photo Coll.R.M.)

 

Sources

  • ‘’Du Sang, des Ruines et des Larmes ‘’, livre de Roger Marquet – Editions Weyrich – Neufchâteau, 2004
  • ‘’Fait prisonnier par les Américains et libéré par les Allemands’’, article de Jean-Claude Fonck, paru dans le journal ‘’L’Avenir du Luxembourg’’ du 1 décembre 2004.

________________________________________________________    
(1) Une enquête plus poussée nous a permis de savoir qu’il s’agissait du Lieutenant John Foley et, le hasard faisant parfois bien les choses, un vent favorable nous a amené, chez nous, un certain Jack Foley, fils du lieutenant décédé en 2000.
 (2) La 28th Infantry Division, commandée par le Général Norman Cota, occupait une (trop) large partie du front devant Clervaux, dans le Luxembourg, avec son PC à Wiltz. Submergés par le nombre, le PC de Cota dut reculer une première fois jusqu’à la gendarmerie de Sibret (c’est là que l’aventure des Chenognais se termina), puis jusqu’à Vaux-lez-Rosières, et enfin jusqu’à Neufchâteau.