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Par J. Ted Hartman (+)
Conducteur de char dans la Company B/41st Tk Bn/11th Armored Division

Ted Hartman en 1943 (Photo Coll. Ted Hartman)

Ted Hartman en 2004 – (Photo R.Marquet)

Note du traducteur : Feu mon ami Ted est déjà revenu en Belgique à de nombreuses reprises et je l’ai rencontré aux USA à plusieurs reprises également. Après la guerre, il a repris des études de médecine et est devenu un chirurgien orthopédiste de renommée internationale. La chaire d’orthopédie de l’Université de Lubbock, Texas porte son nom. Notons que Ted raconte son histoire à la troisième personne ; sans doute que le nonagénaire qu’il était devenu ne pouvait voir le jeune homme qu’il était en 1944-45 que comme une autre personne.

Roger Marquet

Texte de Ted Hartman

Pour J. Ted Hartman, de Lubbock, Texas, et pour plusieurs autres soldats de la 11ème Division Blindée, l’épreuve majeure du courage eut lieu dans la localité de Noville en Belgique en janvier 1945.
Hartman avait 19 ans et lui et les hommes de l’équipage de son char avaient quitté l’Angleterre dans la deuxième moitié de décembre 1944. Ils reçurent l’ordre de se déplacer, à marche forcée, vers la Belgique trois jours après le début d’une offensive allemande que l’on appellerait bientôt ‘’la Bataille du Saillant ».

L’armée allemande avait réussi à percer les lignes alliées et se dirigeait droit vers la Côte pour tenter de diviser les forces qui avaient envahi la Normandie   [NDT. : 6 mois auparavant].
« Notre division au grand complet se trouvait sur les grand-routes. La colonne s’étendait sur une longueur de 80 km en tout. Nous étions tous très excités », se souvient Hartman.

Il existait un motif d’urgence à venir aider les gens de Bastogne et le Général Eisenhower, Commandant Suprême des Alliés, y répondit en déployant des troupes supplémentaires pour éliminer la menace.

« Nous sommes entrés au combat par le sud de Bastogne » rappelle Ted Hartman. La 11ème a combattu pour tenter d’aider les encerclés de Bastogne, mais à chaque fois qu’ils se déplaçaient, les Allemands se déplaçaient à leur tour et bloquaient tout le bazar [NDT :]

Au 12 janvier 1945, la ligne de front, après de rudes batailles, s’était déplacée un peu au nord de Bastogne. Hartman et l’équipage de son char devaient composer avec le verglas et la neige qui faisaient glisser le char dans toutes les directions. Dans son livre intitulé ‘’Tank Driver’’, il écrit : ‘’Il nous a fallu 14 heures pour faire 12 km’’.

Le 14 janvier, ils approchaient de Noville quand une mauvaise interprétation des ordres de la part du commandant de compagnie envoya une douzaine de chars vers la localité malgré l’obscurité naissante. Hartman, qui était le conducteur d’un de ces chars, se rappela qu’en Europe occidentale, les jours d’hiver étaient très courts.

« Nous avons pénétré dans Noville, alors que la localité était toujours aux mains des Allemands. Il faisait vraiment noir et le commandant envoya les chars, en traversant l’objectif, vers les hauteurs de l’autre côté du village » écrit-il.

« Je conduisais et l’obscurité rendait la chose très difficile. Mon chef-char aurait dû me guider et me donner les instructions pour me faire aller à gauche ou à droite. Malheureusement, il était comme sonné et il semblait qu’il n’était plus à même de remplir ses fonctions » ajoute Ted.

Les chars se mirent en colonne et commencèrent à traverser le village quand le 7ème char juste derrière celui de Hartman fut mis hors de combat par le feu ennemi. Ce char en feu bloqua complètement la route et ceux qui étaient derrière lui furent obligés de faire demi-tour pour rentrer dans les lignes américaines.

Par contre les 6 chars qui se trouvaient devant le char détruit n’eurent pas la possibilité de faire demi-tour ; le char en feu bloquait la route ! Ils reçurent l’ordre de remettre les moteurs en route et…de faire au mieux.

Dès que les moteurs furent remis en route, l’ennemi commença à tirer.

« Le ciel nous est tombé sur la tête mais,  grâce à Dieu, notre char ne fut pas touché » se souvient encore Ted.

« Je démarrai rapidement et me mis à rouler au plus vite quand, soudainement, nous sommes tombés dans un énorme trou. Il s’avèrera qu’il s’agissait des caves d’une maison détruite dans les combats. J’eus beau essayer, je n’arrivai pas à sortir le tank de ce véritable piège » dit Ted. « Et donc, nous avons décidé d’abandonner le char et de continuer notre fuite à pied ».

Ted Hartman et les membres de l’équipage quittèrent le char et trouvèrent un refuge temporaire le long d’une haie. Leur sergent avait toujours l’air aussi sonné et il ne semblait toujours pas capable d’assumer ses fonctions de leader. Ted et un autre copain comprirent qu’ils allaient devoir prendre les choses en mains. Ils furent alors rejoints par quelques membres d’équipages des autres chars qui n’avaient pas trouvé de routes pour rentrer dans leurs lignes et qui tentaient leur chance à pied eux-aussi.

« Le copain et moi avons décidé de suivre un cheminement parallèle à la route qui nous avait amenés ici, mais à une certaine distance. » ajoute Ted.

Cela semblait être un bon plan : ils étaient suffisamment loin de la route qui pouvait être sous surveillance de l’ennemi, mais ils savaient, en suivant la route de loin, se maintenir dans la bonne direction.

Tout à coup ils entendirent un bruit de pas qui semblait se diriger vers eux.

« Nous nous doutions que les Allemands étaient à nos trousses. Mais, en se rapprochant, s’y ajouta un bruit de voix, et puis, encore plus près, nous avons pu comprendre ce qu’il disait. C’était un de nos soldats, canonnier dans le char touché à Noville. Il était brûlé au visage et ne voyait  plus. Il n’arrêtait pas de répéter : « S’il-vous-plaît ne tirez pas, je suis Américain…S’il-vous-plaît, ne tirez pas, je suis Américain… »

Le groupe de Ted emmena ce blessé avec eux. « En comptant ce blessé, nous étions 9 en tout et nous avons commencé notre retour dans nos lignes, à pied, dans la neige profonde et le verglas ».
Ils étaient tous aux aguets, tant pour entendre des éventuels ennemis que pour marcher dans ce terrain inconnu, sans se perdre.

« Nous n’avions encore parcouru qu’une petite distance quand je me suis retourné et j’ai vu que le pauvre gars aveugle n’arrivait pas à nous suivre et était tombé dans un fossé enneigé. » ajoute Ted

« Certains d’entre-nous insistaient pour qu’on le laisse là, mais, un copain et moi avons décidé : « Ce n’est pas une question de choix. C’est notre devoir d’aller le rechercher », ce qui signifiait faire demi-tour vers les positions allemandes et annuler la distance déjà parcourue.

« C’est ce que nous avons fait. En réalité le garçon était gravement blessé et, moitié portant, moitié poussant, nous avons difficilement réussi à le faire avancer. Ses blessures le rendaient presqu’inapte à la marche. Il s’appelait Eugene Baudouin. Il me demanda de lui promettre que, quoi qu’il arrive, je ne le laisserais pas tomber. Je le lui promis. »

Le groupe arriva bientôt en vue d’un contingent d’Américains qui avaient été prévenus de la possibilité de leur retour.

Sur la route arriva bientôt, dans son char de commandement, l’officier qui commandait l’unité d’infanterie avec laquelle nous nous étions battus auparavant ; il nous annonça que la route était minée. Je lui expliquai alors les blessures de mon protégé en lui disant, entre autres, qu’il ne voyait plus. Le commandant dit alors à Eugene : « Grimpe sur l’arrière de mon char, je vais t’emmener au poste de secours du bataillon ».

Ted se souvient : « Ils ont bien pris soin de Baudouin en l’envoyant immédiatement en Angleterre. Il retrouva la vue assez rapidement et fut alors renvoyé dans ses foyers. »
Après la fin de la guerre, Baudouin écrivit à Hartman afin de rester amicalement en contact. Avec le temps, les lettres s’espacèrent de part et d’autre, pour cesser complètement après quelques années.

Ted Hartman devînt le chirurgien orthopédiste qu’il avait toujours rêvé d’être. Il fonda la chaire de chirurgie orthopédique au « Texas Tech Health Sciences Center » à l’université de Lubbock, Texas ; il en devînt le premier président et maintenant, la chaire porte son nom. Il fut bien occupé durant toute sa vie mais il n’oublia jamais le soldat qu’il avait sauvé pendant la guerre.

« Il y a quelques années, je lui ai téléphoné » nous dit-il ; « Je n’étais pas sûr qu’il allait m’identifier rapidement. Il me raconta qu’il avait été un éleveur de bétail dans une petite localité près de La Nouvelle- Orléans et qu’il avait éduqué, avec sa femme, quatre fils qui n’avaient jamais eu d’ennui avec la police !

Puis tout à coup, il dit :’’Qu’est-ce-que vous essayez de me vendre ?’’

« Je compris alors qu’il ne m’avait pas reconnu »

« Le village de Noville s’était effacé de sa mémoire ».

J.TED HARTMAN

Aspect de Noville après la bataille – Photo Cathobel