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Par Roger Marquet

En août 2003, je fus invité à être le « guest speaker » de la 61ème Convention Annuelle de la 11th Armored Division Association qui devait se dérouler à l’hôtel Adams Mark de Buffalo, dans l’Etat de New York. On me demandait de participer aux 6 jours de la convention et à participer à toutes les activités – qu’elles soient récréatives, touristiques ou officielles. Mon ‘job’ précis consisterait à prononcer un discours de 30 minutes, lors du Memorial Service, du 15 août 2004. Discours dans lequel, on souhaitait que j’évoque les combats et la destruction de Chenogne (mon petit village) pendant la Bataille pour Bastogne.

Un tel honneur ne se refuse pas ! Et je partis donc, vers la mi-août, pour Buffalo, avec armes et bagages (mon épouse était du voyage, mais je ne sais pas si je dois la compter comme arme ou comme bagage – dans les deux cas, elle me fut d’une aide précieuse : elle me défendit contre les sollicitations trop nombreuses qui m’auraient vite mis sur les genoux, c’est son côté ‘arme’, et son ‘bagage’ culturel et linguistique m’a permis d’entretenir à chaque instant deux conversations à la fois).

Le but de ce petit texte n’étant pas de vous raconter les excursions, les « party », les dîners, les soirées, ou les cérémonies auxquels nous avons assisté, j’en viens directement au thème de cet article, et qui en constitue le titre : les retrouvailles !

Les premières retrouvailles furent évidemment celles que nous fîmes avec les nombreux vétérans de la 11th Armored Division que nous connaissions déjà pour les avoir antérieurement hébergés chez nous, guidés sur les champs de bataille, assistés lors de cérémonies en Belgique, dîné avec eux,… Je m’en voudrais de ne pas essayer de les citer, d’autant plus que certains d’entre vous, amis lecteurs, doivent connaître certains d’entre eux. Nous avons donc revu avec un immense plaisir et, pourquoi ne pas le dire, avec aussi beaucoup d’émotion : Ken Aran (490 F.A.Bn.) et sa femme Barbara, Steve Bogden (21st A.I.B.), Cole Barnard (55th A.I.B.), Harold Brandt (63rd A.I.B.), Thad Conway (575th AAA AW Bn), Marty Cacioppo, fils de feu Albert Cacioppo, Elmore Fabrick (21st A.I.B.),John Fague (21st A.I.B.), sa fille Peggy Jo et son fils Michael, Bill Fee (55th A.I.B.), Frank Hartzell (21st A.I.B.) et son épouse Molly, Ted Hartman (41st Tk Bn) et sa femme Jean, Charles Hocker (21st A.I.B.), Jack et Joan Ness (55th A.I.B.), Robert Prevatil (21st A.I.B.), Jim Power (55th A.I.B.), Donna Pasczek, nièce de Oliver Simmers (21st A.I.B.), Ralph et Muriel Storm (21st A.I.B.), Frank Stout (55th A.I.B.), Charles Torluccio (41st Cav.Recon.Sq.), Helen, Alene et Greg Urda, veuve, fille et fils de Andrew Urda (41st Tk Bn), Wayne Van Dyke (41st Tk Bn) et enfin Joe et Donna Waddle (55th A.I.B.).

Les « retrouvailles » les plus émouvantes pour nous n’en furent pas réellement ! Il s’agissait pour nous de faire connaissance avec la sœur de Bob Fordyce, un G.I. qui a été tué dans notre jardin. Mae Jean Fordyce et son mari Ted Frazell nous ont arraché des larmes, tant nous avions l’impression de « voir » une partie de Bob toujours en vie ; et comme nous possédons toutes les photos qui existent de lui, il s’agissait un peu quand même, quelque part, de retrouvailles. Nous avons dîné deux fois avec Mae Jean et c’est comme si nous l’avions toujours connue. La séparation fut cruelle car, étant donné leur grand âge, nous avions tous les quatre l’impression que nous ne nous reverrions jamais.
De retrouvailles, il en fut aussi question quand je découvris pour la première fois mes nombreux correspondants de la 11th Armored ; je les avais tellement bien connus, par écrit, par e-mail ou par téléphone que j’eus l’impression de les retrouver, alors que je les voyais pour la première fois, autrement qu’en photo. Je ne vais pas perdre mon temps à tous les citer ; surtout qu’ils étaient au moins une centaine à être dans le cas.

Non, je vais plutôt vous dire deux mots à propos de retrouvailles manquées. Je devais, en principe, retrouver mon excellent ami Ivan Goldstein (le mitrailleur du char qui se trouve sur la Place McAuliffe à Bastogne), mais Ivan m’avait prévenu que nous ne nous verrions qu’une seule soirée, car il devait quitter Buffalo dès le mardi, pour assister au mariage d’une de ces petites-filles. J’étais déjà très heureux de revoir Ivan et je m’apprêtais à me contenter de cette seule soirée ; après tout j’avais déjà rencontré deux fois Ivan à Bastogne lors des ses séjours dans la ‘Nuts City’ en 1998 et 2000. Malheureusement, quelques jours avant mon départ, un ami commun me prévint qu’Ivan ne pourrait pas venir du tout, et pour cause. Une autre de ses petites-filles était sur le point de mourir d’une leucémie, à Londres, à l’âge de 23 ans.

Ivan m’a d’ailleurs téléphoné quelques jours après mon retour pour me confirmer la triste nouvelle du décès de sa petite-fille.
Ici, donc… Retrouvailles manquées !

Mais j’en viens maintenant à ce qui constitue la motivation principale de cet article :

Les retrouvailles d’un G.I. avec une petite fille belge de 8 ans !

Voici toute l’histoire :

Alors que je me trouvais dans l’Hospitality Room, en train de prendre un drink avec mes amis, et alors que nous parlions… de la Bataille des Ardennes, un vétéran m’aborda et, lisant ma carte d’identification que je portais autour du cou, me demanda (je traduis) :

-‘Tu es de Sibret, Roger ?’

-‘ Oui, bien sûr’

-‘Et bien, j’ai passé quelques jours à Sibret en janvier 1945 alors que j’étais membre de la Headquarter Company / 41st Tank Battalion.’

Et Tom CZERNEK me raconta sa petite histoire :

-‘ Je faisais donc partie de la Compagnie Etat-Major du 41ème Bataillon de Chars de la 11ème Division blindée (VIII Corps – 3rd Army – NDLA) et, après notre première opération de guerre, nous fûmes relevés par la 17th Airborne Division, le 2 janvier 1945. Ce devait donc être le 3 janvier 1945 qu’avec 15 compagnons, nous nous sommes présentés à Sibret, dans l’intention d’y prendre quelques jours de repos. Malheureusement, le village était très détruit et il y avait plus de ruines que de maisons encore habitables. Sans se décourager, notre lieutenant se mit à la recherche d’un cantonnement passable et… il revint bientôt, nous annonçant qu’il avait trouvé des fermiers qui avaient encore de la place et qui acceptaient volontiers de nous loger. Inutile de dire qu’après le froid, le feu de l’ennemi, le danger, que nous venions d’encourir, le simple confort d’une ferme nous comblait d’aise. Nous y sommes restés plusieurs nuits.

ET c’est lors de ce séjour que j’ai fait la connaissance de la famille François. Monsieur et Madame François formaient un couple très distingué ; ils avaient deux enfants : Louis qui devait avoir 17 ans et la petite Yvette qui allait avoir 8 ans. C’est surtout d’elle dont je me souviens. Pourquoi ? Tout simplement parce que les François, malgré le fait qu’ils vivaient dans une cave, leur maison étant détruite, avaient organisé une petite fête en l’honneur d’Yvette et qu’ils nous y avaient conviés. Yvette était très marquée par les bombardements, elle avait très peur et pleurait beaucoup. Le sachant, nous nous sommes munis de bonbons, de chocolat et de chewing gum que nous lui avons offert ; nous lui avons rendu le sourire pour quelques instants. Rendre le sourire à une petite fille de 8 ans désespérée est quelque chose qui ne s’oublie pas, croyez-moi !’ Et, malgré les circonstances pénibles, nous avons passé une excellente soirée. Nous avons encore vu et revu les François, les jours suivants, mais – comme tout à une fin – il nous fallut bien un jour, reprendre le combat (NDLA – Ce devait être le 12 ou le 13 janvier 1945). Nous sommes donc partis et…. Je n’ai plus jamais revu la Famille François !

Cependant, j’avais gardé le contact et quelques temps après, Monsieur François, m’envoyait un courrier dans lequel il m’expliquait qu’il devait déménager à Eupen et donc, quitté Sibret. Il joignait à son envoi, 5 photos de Sibret que j’ai toujours.’

D’ailleurs, sachant que tu serais là, Roger, je les ai apportées avec moi ; elles sont dans ma chambre, je te les montrerai demain.’

Et sur ce, nous nous sommes souhaités le bonsoir.

Le lendemain soir, et toujours à l’Hospitality Room, Tom CZERNEK, fidèle à sa promesse, non seulement me montrait les photos d’époque de Sibret, mais décidait de me les donner.

Mais il ajouta :

-‘Roger, le plus grand plaisir que tu pourrais me faire serait d’essayer de retrouver Yvette François.’

Bien sûr, je n’hésitai pas un seul instant et je lui promis de tout faire pour tenter de la retrouver.

Et dès que nous fûmes rentrés en Belgique, mon épouse et moi-même nous mîmes en chasse.

Par un beau dimanche de fin d’été, nous déambulions dans les rues de Sibret, avec les photos données par Tom à la main ; nous cherchions à retrouver les endroits précis où ces photos avaient été prises. Une dame prenait le frais sur le pas de sa porte ; nous avons engagé la conversion ; puis nous sommes entrés chez elle où nous sommes restés plus d’une heure. Le hasard nous avait fait rencontrer la meilleure amie de la petite Yvette François : Marie-Denise Thiry, épouse Moureaux.

Et Marie-Denise de nous raconter, en substance, ce qui suit :

« La famille François est venue s’installer à Sibret, pendant la guerre, en 1942 ou 1943. Ils ont emménagé dans la maison juste en face de chez moi, que l’on appelait alors la Maison Materne (et ce disant, elle me montrait la maison en question). Comme nous avions le même âge, j’eus vite fait connaissance avec Yvette, la benjamine de la famille. Pendant un ou deux ans, nous avons partagé nos jeux, nos jouets, les rares friandises de l’époque. La famille François venait de la région d’Eupen où le papa travaillait aux Douanes belges ; et comme il était impliqué dans des histoires de résistance, il avait jugé plus prudent de s’éloigner quelque peu avec sa famille (c’est du moins ce que j’ai pu comprendre à cet âge).

Nous étions si heureuses, Yvette et moi, malgré la guerre qui, après tout ne concernait que les grandes personnes. Du moins le croyions-nous ! C’est Von Rundstedt qui – par ses grenadiers interposés – se chargea de nous détromper. Je ne vous raconte pas en détail ce qui s’est passé à Sibret pendant la Bataille des Ardennes car Linda Robert l’a fait beaucoup plus complètement que moi, dans le livre qui va bientôt être publié (1). Sachez seulement que, devant les bombardements qui s’accentuaient et surtout quand un de nos voisins fut tué pratiquement devant nos yeux, mes parents décidèrent d’évacuer. Et nous voilà partis, dans la neige et le blizzard, par un froid glacial, avec des bombes et des obus qui tombaient à une cadence terrible. Nous prenons la route qui va vers Belleau, dans l’espoir de nous y réfugier chez des amis. Nous mettons plus de trois heures pour accomplir les quelques trois kilomètres qui nous séparent de ce hameau, tant nous devons nous coucher dans la neige sous les tirs meurtriers. Las, en arrivant à Belleau, nous constatons que la maison des amis est elle-même en feu. Nos parents reprennent courage et, toujours en nous tirant derrière eux, nous finissons par arriver à Remience alors que la nuit était déjà tombée. Nous y avons trouvé des personnes compatissantes qui ont bien voulu nous loger dans la grange où nous sommes restés quelques jours. Après cela, je sais que nous avons été nous réfugier dans la famille mais je ne me rappelle plus où.

Toujours-est-il que nous ne sommes revenus à Sibret que plusieurs mois après la bataille. En revenant à Sibret, j’ai personnellement constaté deux choses : la première était que notre maison était partiellement démolie, et la deuxième, c’est que la maison de chez Yvette étant aussi détruite, la famille François avait disparu ».

Et, en versant quelques larmes furtives, Marie-Denise ajoute :

« Et je n’ai jamais plus revu Yvette Francois ! »

Nous étions, ma femme et moi, à la fois heureux d’avoir si rapidement trouvé des traces d’Yvette François, et frustrés parce que nous nous rendions compte que la piste allait probablement s’arrêter là. Nous sommes donc rentrés chez nous avec des sentiments mélangés.

C’est alors que j’eus l’idée de feuilleter quelques bottins téléphoniques, un peu au hasard et sans beaucoup de conviction, est-il besoin de le préciser ?
Dans la région de Stavelot, je trouve cependant une (ou un) Y.François, alors qu’ailleurs j’avais bien trouvé des Yves, Yvon et même Yvan François, mais pas d’Yvette.
Cela pouvait être elle, me dis-je ! Essayons donc de lui téléphoner !

Puis, je pensais que débarquer ainsi de manière aussi abrupte dans la vie des gens, près de 60 ans après des évènements que la personne souhaite peut-être occulter à tout jamais, n’était peut-être pas très opportun. Je décidais donc d’écrire, partant du principe qu’une lettre vous donne le temps de préparer une réponse, voire la possibilité de ne pas répondre du tout. J’eus donc l’audace d’écrire  – en aveugle – à Y. François en lui racontant tout ce qui précède (et en précisant que s’il était un homme, qu’il veuille bien me pardonner de l’avoir appelé Madame François et qu’il m’oublie, moi et mes vieilles histoires).

La fortune ne souriant qu’aux audacieux, je reçus très vite un appel téléphonique par lequel une charmante dame me disait plus ou moins ceci :

« Je suis bien ‘la’ Yvette François de votre récit et votre lettre m’a fait énormément plaisir. Je me souviens très bien de Marie-Denise, de notre maison à Sibret et même assez bien d’un soldat américain qui m’avait consolée en me donnant du chocolat et des friandises. Je ne sais plus son nom, mais je suis à peu près sûre que je le reconnaîtrais si je voyais une photo de lui. (2)  De plus, je crois me souvenir qu’il avait un nom à consonance polonaise et CZERNEK colle tout à fait bien.

Je suis très heureuse des nouvelles que vous m’apportez de ma prime jeunesse et, en même temps, un peu triste d’être incapable d’en faire part à mon frère Louis (que tout le monde appelait Loulou). Il avait, lui, un souvenir plus vivace de cette période ; malheureusement, il nous a quitté pour toujours à Pâques 2003, il y a à peine 6 mois.

Mais, je vais prendre contact immédiatement avec Tom et Marie-Denise ».

Depuis lors, une correspondance s’est engagée entre Tom et Yvette, des cadeaux se sont envolés par-dessus l’océan et Marie-Denise et Yvette ont pu se parler au téléphone et des retrouvailles réelles sont prévues pour la bonne saison.

Et en effet, au mois de juin suivant, lors du lancement de mon livre ‘’Du Sang, des Ruines et des Larmes’’ Editions Weyrich, 2004 à la salle ‘’Les Berges du Bî’’, les deux amies d’enfance se sont retrouvées en présence des édiles communales et de tous les invités à ce ‘’vernissage’’.

Un moment d’une intensité rare, sans éclats, avec juste des larmes de joie mais aussi de nostalgie de leur enfance à jamais enfuie.

Ma femme et moi, comme Yvette et Marie-Denise, n’oublierons jamais cet instant.

Quant aux retrouvailles avec Tom CZERNEK (83 ans), nous ne désespérons pas Yvette et moi, de le convaincre d’accompagner le groupe de sa Division lors d’un voyage de retour prévu en Belgique en mai 2005.

Affaire à suivre… 

La suite, je l’écris maintenant, en ce 8 mai 2019, après avoir retrouvé ce texte par hasard.

Elle n’est pas joyeuse, cette suite, mais dans l’ordre des choses…. Les trois protagonistes de cette histoire, Marie-Denise, Yvette et Tom nous ont hélas quittés, mettant ainsi fin à une belle histoire de guerre.

Références :

(1)    « La Mémoire de Sibret » de Linda Robert, Editions du Cercle d’Histoire de Bastogne, 2003 – (22 € – à verser sur le compte 000-1320621-63 du Cercle d’Histoire – Bastogne).

(2)    Depuis lors, Yvette a pu reconnaître Tom sur les photos qu’il lui a envoyées.

Personnes qui sont intervenues dans cette affaire

  • Tom Czernek, de Weirton, West Virginia
  • Frances Czernek, son épouse
  • Yvette François, de Stavelot
  • Marie-Denise Thiry, de Sibret
  • Roger Marquet, Membre du CRIBA, de Chenogne
  • Monique Marquet, son épouse
  • Linda Robert, auteur du livre op.cit., de Sainlez
  • Robert Fergloute, Secrétaire du Cercle d’Histoire de Bastogne