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D’après un article de Jeanne Malmgren, adapté par Roger Marquet

Ernie Premetz

Le « Saint-Petersburg Times » est un quotidien local de la ville du même nom, située sur la côte ouest de la Floride, dans le Golfe du Mexique (Océan Atlantique), pas très loin de Tampa.
Le 22 novembre 2002, le journal faisait sa « une » avec, notamment, l’article suivant…….

Nous sommes à Dunedin, en Floride. Assis dans un fauteuil, en face d’une petite table en verre, ronde, Ernie Premetz tourne lentement les pages d’un album de vieilles photos, jaunies par le temps, écornées pour certaines. Il est vrai que ces photos ont presque 60 ans.

Elles montrent des jeunes soldats aux visages frais, l’air assez excité. Des instantanés de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale figés pour toujours !

Ernie désigne une photo montrant un camion surchargé de soldats : « J’étais dans un de ces camions et nous foncions vers la Belgique », dit-il. (1)

Cela se passait en décembre 1944. Il faisait froid. La neige n’allait pas tarder à tomber et couvrir les forêts de sapins d’Ardenne d’un épais manteau blanc. Les camions amenaient Premetz et ses copains du 327th Glider Infantry Regiment dans une horreur sanglante que l’on appellerait plus tard « The Battle of the Bulge » (La Bataille du Saillant). Le 327th – ainsi que les autres unités qui composaient la 101st Airborne Division – fut débarqué aux alentours de Bastogne, avec pour mission d’empêcher les Allemands de se saisir de la ville. Bientôt, la ville serait encerclée par les troupes allemandes et Premetz allait devoir jouer un rôle de choix dans la comédie – ou le drame – de l’offre de reddition de la ville proposée par les Allemands. Tout ce qu’il eût à faire fut de traduire en Allemand, l’expression argotique américaine : « NUTS ».

Ernie Premetz n’est pas du genre à « se déboutonner » facilement devant tout le monde et, pour entendre ses histoires de guerre, il faut vraiment que vous les lui demandiez.

Il a 80 ans (en 2002) ; ses cheveux blancs sont coiffés en vagues bien nettes, sa fine moustache est impeccablement taillée. Au bout de son index gauche, on peut distinguer une grosseur sombre, sous la peau. C’est un shrapnel qu’il a reçu en Hollande (2) – après avoir survécu à la Normandie (3) – et qu’il n’a jamais fait enlever. Alors qu’il commence à raconter, sa femme Gwynneth s’assied sur le divan, à ses côtés, en bousculant un peu le chien, Shadow. Dehors, derrière les larges baies vitrées coulissantes, un cygne blanc flotte majestueusement dans la piscine (En fait c’est un cygne en plastique gonflable !)

Revenons au récit de Premetz.

« Nous, les soldats américains étions enterrés tout autour du Périmètre de Bastogne. Les Allemands nous encerclaient. Nous étions « le trou dans le beignet » ! L’anecdote se passe quelques jours avant Noël. »

En tant qu’infirmier, Ernie s’occupait de donner des soins à quelques blessés que l’on avait placés dans la cave à pommes de terre d’une maison belge. La plupart souffraient d’engelures aux pieds et les médicaments commençaient à manquer sérieusement.

« J’ai eu à traiter plus de pieds gelés que vous ne pouvez l’imaginer » dit Ernie, en hochant la tête.

Le 22 décembre 44, un peu avant midi, Premetz crût avoir une hallucination. Il vit quatre Allemands qui s’approchaient, assez prudemment, des lignes américaines. Ils portaient un grand drapeau blanc.

Comme il parlait couramment allemand, Premetz avait souvent aidé les officiers à traduire deux ou trois petites choses. C’est donc tout naturellement qu’un des sergents l’appela pour l’accompagner et aller à la rencontre des Allemands.

« Ils étaient quatre », ajoute Ernie, «  deux officiers et deux soldats ». (4)

Un des officiers parlait un anglais convenable. Ils étaient porteurs d’une note qui disait en substance ceci :

« Au commandant américain des forces encerclées de Bastogne ». C’était rédigé en anglais et tapé à la machine. « Il n’y qu’une possibilité pour sauver les troupes américaines encerclées dans Bastogne d’une annihilation totale : c’est la reddition honorable de la ville. Si cette proposition devait être rejetée, un Corps d’Artillerie allemand ainsi que 6 bataillons lourds d’artillerie anti-aérienne sont prêts à écraser les troupes dans Bastogne et aux alentours. Les pertes sérieuses parmi les civils que ne manquerait pas de causer ce bombardement ne correspondent pas à l’esprit humanitaire américain bien connu ». L’ultimatum était signé par le Général allemand. Il donnait un délai de deux heures aux Américains. (5)

Premetz et le sergent bandèrent les yeux des Allemands et les emmenèrent à leur Poste de Commandement. (6). De là, un officier fut détaché pour apporter le message au Général Anthony McAuliffe, Commandant la 101ème Division Aéroportée.

Quand McAuliffe eut pris connaissance du texte, il eut un moment d’étonnement et s’écria : «Aw, Nuts ! » (7).

Puis, il s’assit afin d’écrire une réponse. Après quelques minutes, et alors qu’il cherchait toujours comment formuler sa réponse, un des ses officiers d’état-major (8) lui suggéra de conserver sa première idée. McAuliffe acquiesça, et écrivit un seul mot sur une feuille de papier : « Nuts ». (9)

Le Colonel Joseph Harper, l’officier commandant de Premetz, ramena la note et, accompagné de Ernie, la délivra aux Allemands qui attendaient à l’extérieur du poste de commandement.

« J’ai la réponse du Commandant », leur dit Harper, en leur tendant le document. Un des officiers le prit, le déplia et le lut ; puis il leva les yeux et, l’air très interloqué, demanda : « Qu’est ce que cela signifie ? S’agit-il d’une réponse affirmative ou négative ? » Les Allemands paraissaient assez gênés de ne pas comprendre l’argot américain. Harper et Premetz se demandaient comment leur faire comprendre la teneur exacte du message.

Harper dit à Premetz : « Dis-leur qu’ils peuvent aller se faire voir ! »

Ernie réfléchit pendant quelques instants ; il se dit qu’il valait mieux qu’il soit clair. Alors, se tournant vers les Allemands, il leur dit : « Du kannst zum Teufel gehen » (Tu peux aller au diable).

Le visage des Allemands s’assombrit et un des officiers répondit, en Anglais : « Nous allons tuer beaucoup d’Américains ».

« Nous tuerons aussi beaucoup d’Allemands », répondit Harper.

Ce moment historique est raconté dans des dizaines de livres sur la Deuxième Guerre Mondiale.

Parfois le nom d’Ernie Premetz est cité. Parfois pas………. !

(Selon que vous soyez riche ou miséreux…écrivait déjà ce bon Monsieur de La Fontaine…)                           

Précisions :

(1)    La 101st Airborne Division accomplit le trajet Mourmelon – Bastogne en camions découverts (pour la plupart) ;
(2)    Opération Market Garden ;
(3)    Opération Overlord ;
(4)    Dont un major et un capitaine ;
(5)    Le véritable texte de cette offre de reddition est quelque peu différent, mais le sens général est respecté ;
(6)    A la Ferme Kessler, à Remoifosse ;
(7)    Traduction littérale : « Oh ! Des Noix ». Beaucoup de tentatives d’adaptations françaises ont été faites, depuis plus de 75 ans, de l’expression de McAuliffe. Pouvons-nous en proposer une à notre tour ? Etant donné que le terme « Nuts » est bien souvent employé par les Américains pour désigner les attributs masculins de manière familière, – au même titre que « balls » ou  « guts » –  nous suggérons de traduire « Nuts » par l’expression – quelque peu triviale, mais vous nous le pardonnerez – « Des couilles ! » Ou mieux encore, pour bien marquer le dédain avec lequel le général encerclé considéra l’offre de reddition allemande, nous proposons le terme « Couillonnades ! », dont la définition, donnée par le Petit Larousse – erreur, sottise – correspond bien à la situation ;
(8)    Lt. Col. Harry KINNARD
(9) McAuliffe prit quand même la peine d’écrire la fonction du destinataire et de signer de sa fonction personnelle (sans nom, bien sûr !)