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Ou ‘’les deux vies de Bob Fordyce’’
Par Roger Marquet.

Robert Allen Fordyce (1925 – 1944), peu de temps avant son incorporation, en 1943
(Photo North East High School)

Le premier à m’avoir parlé de Bob Fordyce est John Fague, mon ami et témoin principal des évènements de Chenogne quand il est venu en Belgique en 1997. Le récit de la mort de Bob à Chenogne m’avait tant ému que, sachant qu’il était enterré au cimetière américain d’Henri-Chapelle, je décidai d’adopter sa tombe. Adopter ou parrainer une tombe d’un soldat américain tombé en Europe signifie concrètement s’engager à visiter cette tombe et à la fleurir deux à trois fois par an ; ce que je fais au Memorial Day, à la Toussaint et à la date anniversaire de sa mort.

J’ai évidemment voulu en savoir plus sur Bob et je me suis procuré son dossier personnel de décès (Individual Personnel File – IDPF) auprès de l’Administration américaine.

Robert Allen Fordyce est né le 30 avril 1925 à Waynesburg, en Pennsylvanie. Sa mère, Hazel et son père Roy avait déjà une petite fille nommée Mae Jean. Son enfance et son adolescence se passèrent sans histoire ; il était passionné de basket-ball et jouait du trombone dans l’orchestre de son collège. Il reçut son diplôme de High School en mai 1943 et il fut incorporé le 26 juillet 1943.

Il reçut son instruction militaire de base en Californie, au Camp Roberts. Ensuite, l’Armée l’envoya au Collège de Puget Sound à Tacoma, dans l’Etat de Washington pour y suivre une formation de futur officier, dans le cadre de l’ASTP ‘ (Army Specialized Training Program). Á la fin de l’expérience ASTP, décidée par le gouvernement il fut muté au 21st Armored Infantry Battalion / 11th Armored Division, alors à l’entraînement au Camp Cooke, en Californie. Il suivit la 11ème Blindée dans toutes ses pérégrinations et arriva en Belgique le 29 décembre 1944… pour y être tué deux jours tard, le 31 décembre 1944.

A la veille du jour de l’an, vers 16.30 heures, alors qu’il creusait un foxhole en compagnie de Frank Hartzell, il reçut un éclat d’obus à la tête qui le tua instantanément. Bob est mort à l’âge de 18 ans et 8 mois, loin de son pays, de ses parents, de sa sœur, de sa petite amie (girlfriend) – elle se nommait LaVonne Haslet- dans le froid et la neige et dans la lumière triste d’un jour d’hiver finissant.

Mort cruelle, s’il en est !

J’ai trouvé sa photo dans le livre commémoratif du cinquantième anniversaire de la 11ème. Je l’ai faite agrandir, encadrer et elle est à présent fixée au mur de mon bureau.

Mais l’histoire de Bob, sa vie ou son souvenir, ne sont pas terminés.

En 1998, alors que notre retraite approchait, mon épouse et moi souhaitions nous retirer quelque part en Ardenne. En passant à Chenogne, nous avons vu que le terrain sur lequel Bob avait rendu son dernier soupir, était à vendre, comme ‘’terrain à bâtir’’. Nous étions sûrs de l’endroit car John Fague nous l’avait montré avec précision lors de sa visite en 1997. Nous n’avons pas hésité longtemps et nous avons acheté ce terrain dès le début 1999.

Nous avons entrepris d’y faire construire une nouvelle maison. Pendant la construction, nous avons reçu la visite de Frank Hartzell, le dernier compagnon d’armes de Bob. Frank nous confirma les dires de John Fague : c’était bien là que Bob Fordyce avait été tué !

Le 17 février 2001, notre retraite étant chose faite et la nouvelle maison terminée, nous avons déménagé de la région liégeoise où nous avions résidé toute notre vie.

Ni mon épouse, ni moi-même, ne trouvons rien de morbide à notre démarche. Nous avons le sentiment d’avoir donné à Bob une sorte de seconde vie, plus d’un demi-siècle après la fin de la première. Le sang que Bob a versé sur cette terre y a fait pousser une nouvelle habitation où deux personnes, libres grâce à lui, entament une nouvelle vie.

L’histoire n’est pas encore finie !

Pour commémorer la mémoire de Bob, je plantai un arbre (un thuya) dans mon nouveau jardin, je fis réaliser une plaquette portant son nom, la fixai sur une grosse pierre de la région et déposai le tout au pied du conifère. Nous l’appelons entre-nous « l’arbre à Bob ». Ce modeste mémorial a été inauguré, dans l’intimité, en septembre 2001. A la date anniversaire et à l’heure précise de la mort de Bob, j’y plante un drapeau américain ; je ne l’ai encore mis qu’une fois, mais je compte bien en faire une tradition familiale. (texte écrit en 2001).

Et l’histoire n’est toujours pas terminée.

Grâce à un autre vétéran de mes amis, Harold Brandt (63rd A.I.B./11th Armd Div.), j’ai réussi à retrouver la sœur de Bob, à Hamburg, dans l’Etat de New York. Elle s’appelle Mae Jean Frazell, et est, elle-même l’épouse d’un autre vétéran de la Bataille des Ardennes : Ted Frazell.

Mae Jean Frazell – Fodyce en 2000 – Photo Coll.R.Marquet

Après quelques échanges de correspondances, Mae Jean décida de me faire l’héritier de son frère. Elle m’envoya absolument tous les documents, toutes les photos, toutes les coupures de presse, toutes les décorations, tous les insignes qui subsistent de Bob. J’eus même droit à son certificat de baptême, à ses bulletins scolaires, à toutes les lettres écrites de sa main, jusqu’au télégramme reçu par ses parents leur annonçant la mort de leur fils. Ce qui me touche par-dessus tout, c’est d’avoir également reçu le drapeau américain dans les plis duquel Bob fut porté en terre à Henri-Chapelle ; il est toujours plié dans les règles.

J’ai dit à Mae Jean que je transmettrai tout cela à mon fils, en lui demandant de faire pareil pour son propre fils. Je considère en effet Robert Allen Fordyce, comme un de mes ancêtres ; de « la main gauche », comme on dirait chez nous ! Mais un ancêtre quand même !

Maintenant que la boucle est bouclée, on pourrait croire que l’histoire est finie.

Que nenni !

Je me fis membre de l’Association de la 11ème Division Blindée où je comptais déjà beaucoup d’amis pour les avoir guidés (en car ou individuellement) sur leurs champs de bataille, à plusieurs reprises.

A ma grande surprise, en 2002, je reçus une invitation, de la part du Président de l’année, Frank Stout, à faire une conférence à l’Annual Reunion of the 11th Armored Division Association 2003). En échange je resterais une semaine gratuitement à l’hôtel de la Réunion (Hotel Adam Marl Buffalo, NY)  et participerais à toutes les activités (touristiques et commémoratives, depuis la visite des chutes du Niagara, en passant par la visite du Musée Patton et la réception dans la propriété de la veuve du fils du Général Patton, Joanne Holbrook-Patton, jusqu’à l’Assemblée générale de l’Association).

Hôtel Adam Mark de Buffalo, NY – (Photo RM)

Evidemment je n’hésitai pas longtemps et, en août 2003, je me retrouvai face à 200 ou 300 personnes en train de donner ma première conférence en anglais. Je n’étais pas très à l’aise.
Mais le plus important pour moi, fut la rencontre avec Mae Jean Frazell-Fordyce, la sœur de Bob qui avait été invitée à dîner avec les membres du comité et mon épouse et moi.

Ce fut une incroyable surprise et une émotion telle que je serrai Mae Jean dans mes bras ; chez les pudiques Américains !

Mon épouse et moi gardons un souvenir émotionnel très vif de ce séjour à Buffalo d’où je revins Membre d’Honneur à Vie de l’Association de la 11ème Division Blindée de l’Armée des Etats-Unis.

On pourrait croire que maintenant, l’histoire est terminée.

Pas pour moi ! Je m’efforce et je m’efforcerai de continuer l’histoire de Bob, surtout son souvenir, autant qu’il me sera possible de le faire. En partant du principe que : ‘’Tant que l’on parle de quelqu’un, tant que l’on s’en souvient, il n’est pas réellement mort, il existe ! ’’

De g. à dr. et de ht en bas : LaVonne Haslet (à g.), Bob au Camp Cooke, chez lui pour une dernière permission, avec ses parents, Roy & Hazel, avec sa sœur Mae Jean (ils ne se reverront jamais !), Roger Marquet auprès de la tombe de Bob, au Memorial Day 2002, le modeste monument placé à l’endroit de sa mort à Chenogne.
(Photo Coll. R.Marquet)

 

De g. à dr. et de ht en bas : avec Suzy, une voisine – une pose martiale au Camp Cooke ( ?)  –  Dans la position qu’il occupait au moment de sa mort – dans le jardin de ses parents en 1943 –  idem avec son chien Queenie (Petite Reine) –  l’insigne qu’il portait vraisemblablement au moment où il fut tué  –  les joies de la vie des recrues. (Photos coll. R. Marquet).