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Par Roger MARQUET

Le texte qui suit a pour but de décrire ce que fut le sort des blessés américains, moyennement touchés,  mais suffisamment quand même que pour être hospitalisés et suivre la chaîne de soins mise au point par les Services médicaux américains, pendant la Bataille des Ardennes et autres.

31 décembre 1944 –   midi

Charles HOCKER  en 1943 – (Photo Coll.R.Marquet)

Après l’attaque du 30 décembre sur Chenogne qui a échoué à cause du manque de reconnaissance préalable, d’un manque de cartes et de l’absence d’une préparation d’artillerie, les hommes de la Company B /  21st Armored Infantry Battalion / 11th Armored Division qui ont passé la nuit à Jodenville, se préparent à lancer un deuxième assaut.

Ils sont à Poisson-Moulin, dans leurs half-tracks et, cette fois, ils sont plus confiants car leur artillerie (surtout celle du 22nd Tk Bn) pilonne Chenogne et les Jerries de sévère façon.

Cette photo, au demeurant assez connue, a été prise à Jodenville, le 30 décembre 1944

où les fantassins blindés (armored infantry) ont passé la nuit du 30 au 31 décembre 1944.

(Photo US Army)

À midi la Compagnie B débarque des half-tracks et se forme en ligne de tirailleurs, le long du chemin de terre qui va de Poisson-Moulin au carrefour de Mésy.
Les hommes s’abritent tant bien que mal derrière quelques tas de neige. Les chars du 22nd Tk Bn qui se trouvent un peu en arrière vers Sibret ouvrent le feu en tirant par-dessus les fantassins.

Ceux-ci se mettent en route vers Chenogne toujours en formation de tirailleurs. Il n’est pas facile de maintenir un bon alignement sur une largeur de 4 ou 500 m. Six d’entre-eux arrivent sur la ligne de crête un peu avant les autres. Il y a là John Fague, de Pennsylvanie, le Sgt Petersen d’Oregon, William Kidney de l’Ohio, Bill Bassert et Charles Hocker, tous deux de Pennsylvanie et Johnny Kale.

Une mitrailleuse allemande tire une longue rafale sur les six et tous s’écroulent dans la neige.

Colline entre Sibret et Chenogne, là où furent touchés les 5 hommes dont 2 furent tués ;
c’est à hauteur de la cabane que l’on devine dans le fond de l’image que cela se passa –
(Photo M.Masurelle)

Seul John Fague est indemne. Il rampe jusqu’auprès du blessé le plus proche, Johnny Kale qui est touché au mollet. Il lui prodigue les premiers soins, c’est-à-dire : pansement et sulfamides à avaler et lui dit de ramper vers l’arrière, là où les infirmiers allaient sûrement venir le relever.

Peu de temps après que la Compagnie B ait entamé la montée de la colline menant à Chenogne, elle a donc subi de violents tirs de mitrailleuses depuis la ferme à 300 mètres devant eux. Comme cela avait été vu et revu à l’entraînement, les hommes se plaquèrent au sol. Alors que Charles Hocker était au sol, une balle a fracturé sa clavicule gauche et est ressortie par le dessous de l’omoplate gauche. Il semble donc d’après le dossier médical que la balle est entrée et est sortie sous l’omoplate gauche. Cela s’explique par la position couchée de Charles. Au moment de l’impact.

En tentant de porter secours à Charles Hocker qui était donc blessé à l’épaule, Bill Kidney reçoit toute la fin de la rafale (notamment dans la tête) et succombe presqu’immédiatement (selon Charles Hocker).

William ‘’Bill’’ KIDNEY –  (tombé à Chenogne le 31 décembre 1944) – (photo coll. privée)

Le S/Sgt Petersen (tué aussi à Chenogne, le 31/12/1944) doit figurer dans ce groupe de soldats du 41st Tk Bn mais nous ne savons pas le situer avec certitude (peut-être le dernier à droite alors qu’il n’était encore que Private First Class (Soldat de première classe) ?)– (Photo privée)

Les ‘’medics’’ arrivent rapidement et chargent tout le monde sur leurs brancards, morts ou blessés. Ils retournent en vitesse jusqu’à Poisson-Moulin où un premier triage a lieu. Bill Kidney est considéré comme étant toujours en vie, bien que fort abîmé à la tête.

Les blessés sont alors sommairement pansés, stabilisés, puis chargés dans les ambulances pour être conduits à l’école communale de Bercheux, où le 81st Med. Bn a installé son clearing hospital.

Intérieur d’une ambulance US (Seconde Guerre mondiale). Hocker devait se trouver en bas à droite et Kidney au-dessus de lui  – ( Photo Chattanoogan.com)

Pendant le trajet, Charles Hocker, installé au premier niveau des châlits, avec Bill Kidney au-dessus de lui, sait que Bill était mort car il reçoit, sur lui, du sang et de la matière cervicale qui goûtent depuis la couchette de Bill.

C’est à Bercheux que Charles perd Bill de vue…à jamais !

Après quelques heures ou peut-être un jour ou deux de soins plus élaborés, Charles fut évacué vers le 107th Evacuation Hospital, à Sedan, en France, où la balle fut retirée de son épaule, très amochée, dans une (ou deux ?) opération(s) chirurgicale(s) sous anesthésie générale.

On le plaça alors (il ne savait pas pourquoi) dans le tout proche 7th Field Hospital (peut-être parce qu’il était plus proche du terrain d’aviation).

Après quelques jours, il fut transféré, par avion, au 94th General Hospital à Torteworth Court, Angleterre,  où il passa toute sa convalescence pendant 3 mois.
Dès que l’on jugea qu’il pouvait encore servir le pays (mais pas encore au combat), il fut aérotransporté en France dans un Replacement Depot où les blessés guéris, les malades ayant récupéré, voire les renforts individuels arrivant des USA attendaient leurs ordres de réaffectation selon les besoins des unités.

Charles Hocker fut finalement transféré au 493rd Bomber Group à Debach, en Angleterre et réaffecté plus précisément au 420th Air Service Group / 846th Engineering Squadron jusqu’à sa démobilisation qui intervînt à Sioux Air Force Base dans le Dakota du Sud.

L’histoire d’un blessé pourrait s’arrêter ici. Mais celle du blessé Charles Hocker prit un tour particulier où je fus impliqué personnellement lorsque je fis sa connaissance à la Réunion annuelle 2003 de la 11th Armored Division Association dont j’étais membre adhérant.

Je participai à la totalité des activités de cette Réunion qui comprenait les Assemblées des différents bataillons de la 11th , l’Assemblée des anciens étudiants militaires de l’ASTP (Army Specialized Training Program), l’Assemblée générale de l’Association avec l’élection du nouveau bureau pour un an et bien sûr les activités touristiques telles que la visite en car des Chutes du Niagara, une mini-croisière sur le Canal de l’Érié avec passage de l’écluse qui permet le passage d’un lac à un autre, etc… 

Toute modestie bue, j’étais l’invité d’honneur (tous frais payés) avec pour seule tâche celle de faire une conférence en anglais de 25 minutes pile lors de l’assemblée générale. La Réunion annuelle durait une semaine dans un hôtel 4 étoiles, en l’occurrence l’Adam Mark Hôtel de Buffalo, dans l’Etat de New-York. L’organisation prévoyait qu’une salle de l’hôtel était réservée à l’Hospitality Room où l’on pouvait se rendre à n’importe quel moment de la journée, si on n’avait pas d’activité prévue, pour prendre un verre et surtout rencontrer des Vétérans que l’on ne connaissait pas encore. (Ils étaient plus de 100 !).

ADAM’S MARK HOTEL –  BUFFALO,NY  –  PHOTO GROUPON

En accord avec le Président de l’année, Frank Stout, j’avais choisi comme sujet de ma conférence le sort tragique de mon petit village de Chenogne et de ses habitants pendant la Bataille des Ardennes. Je dois reconnaître que je récoltai un franc succès dont je suis toujours fier des années plus tard. Ce fut un des highlights (sommets)  de ma ‘carrière’’ d’historien amateur.
Et c’est là aussi que je rencontrai Charles Hocker qui avait la particularité d’avoir été blessé juste en face de la maison que j’ai fait construire depuis.

Charles me raconta son histoire et, avec des trémolos dans la voix, me demanda, si un jour j’avais l’occasion de passer à Saint-Avold en France d’aller faire une petite visite sur la tombe de Bill Kidney et de lui dire, par-delà la mort, la reconnaissance éternelle que lui vouait Charles. J’acceptai tout en me disant que la probabilité que je visite le Cimetière Américain de Saint-Avold n’était pas bien grande.

Et pourtant !

Qui l’eut cru !

Quelques années plus tard, j’organisai pour le compte d’un comité qu’avec quelques amis nous avions fondé, le Comité d’Organisation Bastogne Remembers Americans (COBRA) une excursion de 2 jours avec pour but principal la visite du camp de concentration du Struthof – Natzweiler en Alsace.

Camp de  concentration du Struthof en Alsace – (Photo Herodote.net)

Sur le chemin du retour, comme dernier lieu de visite, j’avais pris contact avec le surintendant du Cimetière Américain de Saint-Avold et nous avons organisé une visite un peu en dehors des heures d’ouverture de quelques tombes de soldats tombés en Belgique, dont évidemment celle de Bill Kidney.

Et c’est ainsi que mon épouse (elle était de la partie pour tout ce qui précède) et moi, nous nous sommes retrouvés, devant une trentaine de Bastognards, des fleurs à la main, la gorge nouée par l’émotion, sur la tombe de Bill Kidney où j’ai répété les phrases que Charles Hocker m’avait suggérées.

Pour ma femme et moi, ce fut grandiose ! Surtout quand les Bastognards nous ont applaudis !

Quelle expérience magnifique et poignante toute à la fois !

Cimetière Américain de Saint-Avold, France  –  (Photo ABMC)

41st Armored Tank Battalion (avant le départ pour l’Europe) – (Photo US Army)

Sources

  • ‘’Du Sang, des Ruines et des Larmes’’ – Roger Marquet – Ed.Weyrich, Longlier 2019 (2ème édition)
  • Conversations avec Charles Hocker, Buffalo, NY
  • Rencontres et correspondances avec Bob Clemens, petit-fils de Charles Hocker